Metro Amazonien

Je sors tout juste du métro parisien, et cette obsession du corps, des corps, de la corporalité nous a encore rattrapés, tous passagers que nous étions dans ce train de la ligne 13.  Les villes sont vivantes, ce sont des cerveaux géants où les informations et les humains qui les contiennent sont continuellement brassés, inter croisés, émulés… Une orgie d’informations… à but productiviste, capitalistique, expansif, ne l’oublions jamais. Aussi brillant soit le vernis civilisationnel, culturel, philosophique, artistique, ici nous vivons par et pour la matière.

Paris est vivante, elle est neurologique, elle est spirituelle, abstraite dans ses idées, magnifiques par ses lumières. Paris est aussi charnelle, elle est aussi organique bien sur, elle avale, digère, croît, meurt et se régénère. Son carburant c’est nous, c’est donnant donnant, elle est le support et le moyen de notre existence en échange de quoi nous sommes ses nutriments, la matière de sa croissance, la chair de sa chair.

Je sors de chez mes parents pour me rendre sur mon lieu d’activité, celui où je vais produire quelque chose, je marche jusqu’à la bouche de métro… Tiens une bouche, béante, insatiable, je m’y engouffre, volontaire, docile, reconnaissant de l’économie d’énergie et de temps que la ratp me permet. Puis sur le quai, au bord du tunnel j’attends, j’attends que le train viennent nous chercher pour nous entrainer dans la fourmilière, dans cet intestin géant, qui nous recrachera chacun au plus près de notre lieu de production, près à être efficaces, rentables, motivés frais et disponibles.

Que c’est-il passé pendant que les yeux rivés sur mon smartphone cet intestin géant m’a conduit sur mon lieu de travail? À mon échelle, pas grand chose, une lecture, quelques photos, un message à un ami pour une bière ce soir. Mais à l’échelle d’une ville, à l’échelle de ses millions d’âmes et de corps ? Ce système digestif nous a transformés, le temps de notre trajet quotidien, il nous a fait passer de la condition d’humains à celle d’agents économiques, il nous a fait passé de membre d’une communauté, membre d’une famille, à membre d’un système de production. Avalés humains, nous sommes recrachés robots, accomplissant nos tâches. Heureusement que cela fonctionne dans les deux sens.

J’aimerai aller voir ce qu’un autre réseau de communication, de déplacement pourrait offrir comme changements d’états, de postures, de rôles. Un réseau qui n’aurait pas été pensé pour l’exploitation du milieu sur lequel il croît, un réseau naturel, un mode de vie finalement qui se serait arrangé de l’état de la nature, une culture soumise à son environnement, en harmonie avec celui-ci. Voir quels sont ses atouts, ses limites, ce que cette culture fait de l’homme et de sa nature propre, intérieure, intime.

L’homme occidental est le cancer de la nature, je suis le cancer métissé de la nature, je suis le fruit trop mûr resté sur la branche et qui gangrène l’arbre, la graine qui n’aurait peut-être jamais dû germer. Mais rien n’est immuable, l’épigénétique le prouve, il me faut chercher les chemins de terre battue, les rues de sable, les maisons de bois et de feuilles… Sur cette terre, là où j’ai imposé mon mode de vie, là où j’ai exploité, je dois retourner, humblement, et apprendre ce qui semblait incroyable, magique, primitif.