JeDeYa- Entretien avec grand-mère

-Je suis Fatma Jouini …de Gaafour,

Quand j’étais petite, moi et mes frères et sœurs, ma mère morte il n’est resté que mon père pour s’occuper de nous. Il s’est remarié et nous sommes restés avec cette femme jusqu’à ce qu’on grandisse, jusqu’à ce qu’on sache faire les courses, laver nos vêtements, faire la cuisine… On avait grandi, on savait tout faire… Et c’est tout. On avait grandi, on s’est marié et chacun est parti de son côté. On faisait déjà les courses dans nos maisons avant de nous marier, on pilonnait, on tamisait, on ramenait l’eau, balayait le sol, j’allais aux moissons, je pilais, on moissonnait et on pilait le blé à semoule, on le moulait et on faisait du pain avec.

Bon et puis on a grandi, la vie a filé, je me suis mariée. Dans la maison de mon mari je fais tout. Je vais à la moisson, je ramène l’eau, je ramène le bois, je mouds, je tamise, j’emmène le bétail aux pâturages, je moissonne les céréales, je ramène à manger aux bêtes. Et c’est tout. Puis j’ai eut des petits, je me suis occupé des petits jusqu’à ce qu’ils grandissent et qu’ils aillent étudier, et voilà ! C’est ça le temps. Maintenant qu’ils sont grands et que chacun s’est marié, je vis seule, et c’est tout.

Que dieu prenne soin d’eux, eux, leurs enfants et leurs épouses… Et dieu merci je ne suis pas délaissée, ils prennent soin de moi, ils honorent leur devoir envers moi. Et c’est tout…

-Vérifie tiens si ça enregistre

-Ca enregistre

-Et alors qu’est-ce que tu vas en faire de ça ?

-Attends grand-mère on commence tout juste, parle-moi de ton père !

-Papa n’était pas dur, il nous aimait et prenait soin de nous, ne nous battait pas. Et nous avions peur de lui, il nous intimidait, la nourriture on ne la mangeait pas devant lui. Lorsqu’il était à la maison, on allait quelque part d’autre, on ne mangeait pas devant lui comme ça. On lui demandait son avis, si il nous interdisait d’aller quelque part, nous n’y allions pas. Quand on partait quelque part on lui demandait conseil. Et c’est tout. Voilà comment on vivait avant. Au point que quand un homme voulait te donner tu pouvais pas dire non, même sil ne te plaisait pas tu disais oui, tu le prenais. Et tu vivais avec lui, si il était bon il était avec toi et si il était mauvais il était avec toi. Certains en sont arrivés aux coups, certains se sont fait chassés, certains ont dormi dehors. Mais on ne partait pas, pour nos petits on ne partait pas. Et dieu merci maintenant. On a fait ce qui était écrit.

Mon père, une fois que t’étais mariée il ne s’occupait plus de toi, est-ce qu’on prend soin de toi ou non étais-tu bien ou mal traitée, il ne rendait pas visite, il se disait « laisse la avec ses petits ». On ne partait pas, on restait dans nos maisons et c’est tout.

-Il était de quelle région lui ?

Il était d’ici, nous sommes tous des enfants de Jouini, apparentés les uns aux autres. La grand-mère de ton père est apparentée à mon père, fille de ma tante. Et c’est tout.

Votre maison elle était comment à l’époque, lorsque tu était petite?

Notre maison était en torchis, ils montaient les murs comme ça, les colmataient avec de la boue et les recouvraient de terre et de paille et le toit était en terre, un mélange de terre comme le ciment, on le recouvrait d’argile et on le refaisait tous les ans pour pas que la pluie nous goutte dessus, et parfois ça gouttait quand même alors il fallait s’éloigner de cette goutte. Et cette goutte on la recouvrait avec des affaires à nous pour pas que ça mouille nos vêtements. Et nous avions un petit feu comme ça recouvert de torchis sur lequel on cuisinait. L’été lorsqu’il faisait chaud on cuisinait dehors dans la cour. Et voilà, c’est tout ! Aller quoi d’autre ? Vas-y !

-Euhhh tu jouais quand t’étais petite ?

-Oui je jouais !

-Comment ?

On réunissaait des choses comme ça, des affaires, pour faire semblant de cuisiner, on construisait des pièces comme ça et on faisait comme-ci on avait des maisons, on les recouvrait de torchi comme-ci on avait des maisons, on se creusait des cours et on y mettait des objets, peu importe quoi, on le mettait comme ça dans la cours. Et on jouait à « A3dhim Seli » la nuit !

-Comment ?

A3dhim Seli ils apellaient ça, la chasse aux os. On cherchait un os, on le ramenait et on rodait en groupes comme ça, l’os on le regardait bien, tous, puis on le jettait ! Celui qui le trouvait devait le ramener dans un but, comme pour un match de foot. Il devait le cacher dans ses vêtements et si il était démasqué il fallait le jeter et il ne lui arrivait rien, sinon les autres l’attrappaient. Et tu ne marquais pas de point. Si ils t’avaient vu il fallait partir en courant jusqu’à l’autre but. Et nous jouions comme ça jusqu’à ce que nous rentrions à la maison pour dormir.

-La nuit ça.

-Oui dans le noir pour ne pas voir les os,

-Dans la montagne ?

-Non dans le sahel, autour de la maison…Comme le terrain en face d’ici, sur le terrain autour de la maison, il y avait des pièces, et puis on avait un coin poubelle comme ça, mais on avait pas de papier ou de cartons, il n’y avait que des saletés de bétail et nos détritus, on l’entassait comme ça et puis quand ça se désintégrait on le réduisait en terre et puis on remplissait des poubelles pour aller le déverser sur la terre pour la renforcer. Celui qui avait une poubelle comme ça, si il avait de la terre il l’emmenait sur sa terre et si il n’en avait pas il l’amenait à quelqu’un qui avait de la terre pour qu’il la répande sur la terre, l’endroit restait alors propre.

Et c’est là-bas que nous jouions à A3dhim Seli.

-Vous mangiez beaucoup d’animaux ? Vous en éleviez ?

-Oui on élevait des moutons, des chèvres, des vaches, des poules et c’est tout, pas d’autres animaux. On en mangeait oui et puis on en vendait.

-Raconte moi le blé

-Le blé, quand le blé était mur, on le moissonnait, on l’emmenait, on l’attachait, on le moissonnait hey-hey-hey puis on le rassemblait en maille comme ça comme ça et on rentrait le mettre à sa place et on l’entassait en un grand tas, un tas pour le blé et un autre pour l’orge jusqu’à ce que la moisson se termine, jusqu’à ce qu’on aie tout fauché et que l’on soit rentrés avec toutes les céréales.

Quand il y avait une machine on battait toute la récolte en un jour, quand il n’y en avait pas on en battait un peu chaque jour, et il y avait les bestiaux qui nous aidaient, on étendait le blé au soleil dans la cour pour qu’il chauffe bien et on attachait les bêtes ensemble. Puis un d’entre nous faisait marcher les bêtes en cercle avec leur attelage en métal qui ressemblait à ça…Comme des hameçons .

-Comme une fourchette

-Oui, et on battait comme ça il tournaient ils tournaient ils tournaient jusqu’à ce que le blé se dépose au sol. Puis ils retournaient tout à la fourche comme ça comme ça doucement doucement doucement jusqu’à ce que tout soit retourné. Comme ça si il restait du blé en dessous il se retrouvait au dessus, et ils recommençaient jusqu’à ce qu’il ne reste que le grain. Et l’après midi ils le rassemblaient en tas et quand le vent se levait ils le maintenaient avec le « medhreb », eux ils faisaient comme ça et tout le son et la paille s’envolait, il ne restait que le blé. Puis ils entassaient les gerbes dans un coin jusqu’à ce qu’ils en aient assez pour recommencer à battre au cas où il restait du grain dessus. Ils avaient un grand bâton comme ça avec lequel il battaient le blé pour qu’il ne reste vraiment plus rien sur les gerbes. Et puis on rassemblait tout le grain et on le mettait dans nos matmour (grenier), un grand trou profond. Le matmour est comme ça, on l’enduisait avec de l’argile, comme ça, comme ça et on paillait les bords avec de la paille tressée d’en bas jusqu’à la surface. Le fond lui restait en terre et on le recouvrait d’argile bien dense, on l’étalait comme ça puis on ramenait le blé et on le lui versait dedans on lui versait dedans on lui versait dedans jusqu’à ce qu’il se remplisse ce matmour. Et puis on lui rajoutait un peu d’argile, on le recouvrait avec encore un peu d’argile et puis ensuite on le recouvrait avec beaucoup de terre. On ne laissait aucun animal le piétiner parce que si il le piétinait il y laissait un trou comme ça. Ce trou, quand la pluie se déverse, l’eau y passe directement dans le blé, le blé il boit, il gonfle et son odeur devient mauvaise. Mais nous on ne laissait pas faire ça, on entassait des pierres dessus, comme ça, doucement. On faisait deux mtamirs, trois mtamirs, nous et la moisson qui venait. Si elle venait en quantité, on remplissait tous les mtamirs, si elle venait comme ça seulement on remplissait un matmour ou deux et ce qui restait on le gardait, pour le manger et en vendre, parce que nous on avait pas de mensualité comme maintenant. On avait le blé et l’orge pour vendre, et le mouton, on en vivait sur l’année des douze mois comme ça… Et c’est tout.

-Et le pain tabouna…

-Le pain tabouna on lui prenait de ce blé, on le triait, on le moulait dans la meule on avait un tamis on le tamisait et puis on mettait cette semoule-là dans un grand plat et on lui donnait du ferment, ou bien on ne lui en donnait pas du ferment à celui qui cuit dans le Réneï, ou au Mbasses, ou au Mlaoui à ceux là on ne donnait pas de ferment, tu le pétrissait et tu allais le cuire dans le reneï. Mais celui fermenté on lui donnait du ferment, de la pâte fermentée, on l’émiettait dedans et on lui donnait du sel on mélangeait et on le pétrissait bien bien et on la mettait là-bas qu’elle reste un peu puis après on la sortait et on la pétrissait bien bien on lui faisait des taillades, ici une taillade comme-çà ici une taillade ici une taillade ici une taillade. Quand on voyait qu’elle avait bien fermenté encore, on allait la mettre au four, on y mettait du bois et on y allumait le feu jusqu’à ce qu’il rougisse bien ce four, puis on rassemblait les braises au milieu et on posait des pierres autour puis on y collait les pains après les avoir essuyé comme ça avec de l’eau. Puis on recouvrait le four. Très vite tu les retrouvais cuits. On les décollait et on rentrait.

-Et ce four, il était à vous ou au quartier ?

-A nous à nous à nous, tout le monde cuisait du pain, tout le monde avait un four… tu ramène de l’argile, tu le gorges d’eau, si tu avais des reneï vieux, tu les casses tu les jettes pas, tu les piles avec une pierre jusqu’à ce qu’ils deviennent doux. Et tu ramène de l’argile aujourd’hui, tu le mets dans un plat et tu lui donnes de l’eau, demain matin il se réveille tendre, de l’argile pas n’importe lequel, il y a de l’argile qui colle comme l’argile verte comme ça, toi tu lui fais ça et lui il se tient. D’aujourd’hui à demain on prend cette argile et on le pétrit avec nos pieds avec nos pieds hey hey hey et après on y ajoute ce qu’on avait pilé puis tu le reprends avec les pieds tu le pétris tu le pétris tu le pétris tu le pétris et après tu y vas par petite quantité comme ça en le pétrissant hey hey hey avec les mains en lui donnant de l’eau jusqu’à ce qu’il rentre bien en lui-même… Mais les fours il y a des femmes qui pouvaient et d’autres non, tante Selma tu la connais ?

-hmm hmm

-Moi c’est Tante Selma qui me le faisait, le four tenait 3 ans 4 ans 5 ans, toi et comment tu en prenais soin parce qu’il se cassait. On le maçonnait la première fois comme ça avec de la terre et des pierres, on enduisait sa base comme ça puis on lui rajoutait une autre couche avec de la terre et de la paille. Il restait là, il ne se cassait pas. Et il y a des gens qui ne prennent pas soin et tous les ans ils font un four, ils font un four qui se casse et ils en refont un. Et c’est tout.

-Et le four il est creusé ? Il a un fond ?

-Le four, tu lui fait un lit de pierres, tu lui en construis un comme ça, de cette hauteur-ci comme ça, pour que quand se verse la pluie il ne se casse pas. Tu le mets haut comme ça sur ces pierres que tu lui a construit comme ça, tu mets le four ici pour l’éloigner de l’eau, ou bien pour que dans une cours cimentée quand tu la laves l’eau ne va pas sur le four. Et tu le laisses comme ça, par en bas tu lui fais un truc, tu lui mets un couvercle de baril et tu le poses sur ce couvercle. Tu lui avais mis des pierres n’est-ce pas ? Par dessus les pierres tu mets un couvercle de baril et par-dessus le couvercle tu mets ton four. Et quand tu maçonne le four tu lui fais des trous comme çà, un trou par ici, un trou par ici, un trou par ici et un trou par ici. Pour que quand tu fais rougir le four, que tu l’allumes, l’air lui entre par ici par ici et par ici pour que le bois vite il s’allume et que lui rougisse

-le bois au milieu du four ?

-Oui le bois au milieu du four, tu le prends tu y mets un peu de paille ou du carton ou de l’alcool et du bois et ça prend, ça rougit et c’est tout.

-Et il avait un couvercle ?

-Oui il avait un couvercle

-Quand tu mets le pain à cuire ?

-Un autre couvercle de baril celui-là, un autre couvercle comme celui sur lequel tu as mis le four. Des couvercles de baril, tu le mets par-dessus.

-Ca c’est en fer hein ?

-Lequel?

-Les couvercles d’en-dessous et d’au-dessus

-Oui du fer oui du fer

-Et vous aviez du fer quand t’étais petite?

-Hein ? Ouiiioui

-Il venait d’où ?

-De quoi le fer ? Il y en avait du fer il y en avait du fer, des barils il y en avait, les paysans qui avaient des tracteurs et des machines, chez eux tu trouvais des barils.

-Et tu te rappelles des histoires que les grands racontaient quand tu étais petite ? Des histoires d’autrefois ?

-J’ai oublié, quand bien même il y en avait je les aies oubliées…

-Et ton père il avait des frères et sœurs ?

-Il en avait oui, il avait deux sœurs et un frère avec qui il a vécu. Il était malade du sang, son pied et sa main étaient comme ça, il trainait sa jambe. Il n’a jamais eut d’enfant jusque plus tard il a eut un fils qui vit encore. Et c’est tout ! Il a vécu avec nous, lui et sa femme jusqu’à ce qu’il meurt. C’est tout.

-Et tout ça s’est passé à Aïn Sfaya ?

-Non la vie avec mon père c’était à Aïn Zrig, plus proche de Aïn Sfaya de pas beaucoup. Tu passses devant en allant à Aïn Sfaya. Comme d’ici à Kelibia. Nous on était à Aïn Sfaya mais j’ai grandi à Aïn Zrig. On a vécu là-bas jusqu’à ce que papa qui louait des terres et des pâtures vende tout et achète de la terre à Roba et construise. Il avait déjà une épicerie quand nous étions à Aïn Zrig, alors quand il a acheté la terre à Roba il a construit un magasin et ça nous a fait vivre.

-Alors ceux qui ne possédaient pas de terre ont amassé de l’argent pour acheter de la terre, ils sont devenus propriétaire.

-Oui c’est ça ils ont alors possédé, et ceux qui n’avaient pas beaucoup de terre seulement un peu et beaucoup beaucoup beaucoup de charges ils vendaient à ceux qui en avaient déjà beaucoup. Le paysan qui a déjà beaucoup de terre veut toujours en acheter plus toujours, il en trouve un qui en a peu et qui veut vendre, il lui tombe dessus, lui donne de l’argent et l’autre il migre à Tunis ou bien alors il mange tout l’argent et reste comme ça, c’est tout.

-Comment ça celui qui ne veut pas vendre c’est pas grave ?

-Oui bah c’est pas grave.

-On lui fait vendre de force…

-Ha ? Non non, la terre est à lui, il en a hérité, il en a un peu, si il veut la vendre il la vend, il est libre. Si il ne veut pas la vendre il la laisse, elle fait vivre ses enfants si il en a. Il n’y avait pas comme aujourdhui ni de beaux vêtements ni de beaux aliments. Il y avait même des gens qui atteignaient la fin du printemps difficilement, à qui il ne restait plus rien. Ils allaient ramasser des Talaouda, comme des pommes de terre qui poussent au printemps. Ils allaient creuser le sol pour en trouver, les ramenaient, les lavaient, les épeluchaient comme des patates, puis les écrasaient bien avant de les étendre au soleil pour trois quatre jours. Après qu’elles aient séché ils les moulaient dans la meule et ça devenait fin… Ils en faisaient du pain ou du couscous… Et ils vivaient ainsi jusqu’à la moisson, jusqu’à ce que murisse l’orge. Ou alors ils allaient cueuillir des herbes, titheth, zarniz et bouhaliba et les faisaient cuir dans le borma et celui qui avait beaucoup de bétail leur donnait un bol de lait, ou bien carrément une vache, celui qui avait beaucoup de vaches en donnait une à celui qui n’avait rien en lui disant « vas-y trait la, nourris avec tes enfants jusqu’à la fin de l’été, tu me la rendras après ». Donc ils trayaient la vache et arrosaient de lait leur semoule de Talaouda ou bien leurs herbes bouillies. Chacun un peu de lait dans son bol de semoule et beaucoup

d’herbes pour remplir l’estomac. Voilà comment vivaient ceux qui n’avaient rien, et les gens attendaient, patientaient, se levaient le matin, pas malades. Ceux qui avaient des enfants, autour de 10 11 ans, ils les envoyaient faire paître le bétail des autres paysans, ou bien nettoyer la cour de la ferme, ou retourner les épis de blé pendant le battage, ils lui donnaient dix dixième de blé, ou d’orge, ou bien de l’argent si c’est ce dont il avait besoin. Le petit emmenait alors cet argent au souk pour faire des courses, acheter un peu d’huile, de thé et du sucre, un peu de piments, des légumes. Et voilà… Cet enfant quand il grandira le pauvre il serra essoufflé par la marche il posera des pièges à lapin et il sera essoufflé . Il cultivera le blé jusqu’à ce qu’il deviennent un homme et qu’il connaisse tout ce qu’il faut, le père travaille pour tel paysan et le fils apprend chez ce même paysan d’abord nettoyer la cours, puis faire paître le bétail et la vie avance ainsi..

-Tout ça dans les champs.

-Oui tout ça dans les champs

-Vous n’alliez pas dans la forêt ? Il y avait pas des activités que vous faisiez dans la foret ?

-Non non rien, il n’y en avait pas. Là ou nous habitions il n’y avait pas de forêt, la montagne même était loin, là où on allait chercher le bois. Les hommes y alllaient, pas les femmes, elles ne sortaient pas elles, même pour aller chercher de l’eau elles étaient accompagnées par un homme. Elles remplissaient et elles rentraient, elles n’allaient pas seules.

-Pourquoi ?

-Heinnn ?? ! L’homme ne la laissait pas ! Avant, les hommes ne voulaient pas que les femmes voient d’autres hommes, ni que d’autres hommes voient leur femme. Même de la voir passer comme ça. Sauf si elles allaient loin et qu’elles étaient accompagnées par un homme.

-Ils avaient peur qu’elles s’enfuient ?

-Hahahaaaa !! ils ne voulaient pas… Heheheeeeee et où est-ce qu’elles se sauveraient ? Elles n’avaient nul part où aller. Aller quoi d’autre ? Tout ça c’est enregistré alors ?

-Oui on est rendus à une demi-heure maintenant. C’est bien… Et comment… ?

-Aller vas-y dis moi ce que tu veux que je te raconte, moi ma cervelle est partie…

-Mais non t’inquiètes pas on y va petit a petit !! Raconte moi comment…..euhhhh…. n’importe quoi….Comment…. Ou quelque chose qui est arrivé quand tu étais petite ou quand les oncles étaient petits… Ah oui comment vous avez déménagé de Aïn Sfaya à Gaafour et qu’est-ce qui a changé dans la vie ?

-On a déménagé au début de….. On avait beaucoup de bétail à cette époque et beaucoup de terres à cultiver… La moitié du bétail est morte. La vache s’est endormie une année où il n’y avait pas d’herbe, rien, et il n’y avait pas de A3lek comme aujourdhui. C’était une vache française, bien grosse. Elle a eut faim, ils la lachaient le matin pour qu’elle aille paitre mais le pauvre bétail ne faisait que remuer la poussière sans rien trouver à manger et le soir on leur donnait un peu de paille mais ça ne suffisait pas, le bétail ça a besoin de manger alors d’habitude on les attachait et on entassait la paille devant eux ils en mangeaient toute la soirée et souillaient leur literie… Mais cette année là on en avait pas, on les laissait paitre la journée he he he et le soir on leur donnait un tout petit peu de paille. Elle elle était pleine, à dix jours d’accoucher… Là où elle s’était endormie, elle avait creusé le sol et ne parvenait plus à se relever, elle a finit par se vider se vider puis elle est morte une nuit. Ton oncle Hassouna était parti au souk de Gaafour dans la nuit, il était rentré dans l’étable sans voir que la vache était morte, ton grand-père s’est réveillé le matin pour emmener paitre le bétail et la trouva morte, les jambes écorchées. On a pas pu, j’étais seule avec ton grand-père et Mbarka la femme de Hassouna, les petits étaient trop petits, on a pas pu la trainer.

Ton grand-père l’a alors percée avec une pointe et nous nous sortions les tripes pour les jeter dehors dans des grands paniers à Halfa, on a sorti le veau grand comme la table là, mort aussi, on l’a jeté…

Une autre vache, le bétail était en train de paturer et elle elle allait accoucher aujourdhui ou demain, elle a chuté dans les cultures. Hassouna va la voir pour l’éloigner des cultures, il lui lance une pierre qui la frappe dans les reins, je la voyais moi elle a titubé titubé titubé avant de tomber tête la première dans le ravin… Elle est morte… On a accouru pour l’égorger… La vache était pleine de sang nous on aime pas quand c’est plein de sang. Ils sont venus d’en haut tu les connais ahh non tu les connais pas les voisins de l’époque. Ils nous ont aidé à la sortir du ravin, à la trainer jusque sur un rocher propre. Ils l’ont saignée et découpée équitablement, chacun est raparti avec un morceau, des gens nous ont donné quelque chose en échange et d’autres non… Celle-là aussi morte donc.

Et la mule… On avait acheté deux boucs, l’un plus fort que l’autre, la vache elle buvait difficilement et les boucs se rafraichissaient avec elle. La mule était attachée à un grand poteau et lorsque l’un des boucs s’est enfuis et que l’autre l’a suivi il s’est retrouvé nez a nez avec la mule qui s’est mise à ruer, alors qu’elle lève la patte arrière, lui il se met en dessous et lorsqu’elle retombe elle s’empale sur le bouc. Moi j’étais partie pour faire une traite avant de les emmener paitre, je le frappai avec un zolat mais rien n’y faisait, la corne du bouc était prise dans la mule et elle elle s’était encore plus enfoncée dessus alors elle essaye de se défaire mais ses intestins sortent de plus en plus à chaque mouvement jusqu’à ce que tous ses organes soient dehors… On avait appelé un type pour qu’il la recouse et lui fasse un cataplasme de miel mais très vite ses viscères sont sorties…..

En pleine sieste du midi cette vache là mangeait dans le composte, remuait la terre aux alentours de 14h puis elle commence à descendre le ravin jusqu’à la rivière tu sais à Aïn Sfaya et elle chute sur la tête au niveau de la maison et descend au fond du ravin… Morte, partie…

Le Taureau… On venait de rentrer de la moisson, on avait engagé un berger pour faire paître le bétail. Ils avaient bien bu à la rivière et nous nous avions remplis nos bidons d’eau, on rentrait. Le garçon qui les faisait paitre ramasse une belle pierre, vise le taureau et le frappe dans l’oeil, il lui crève l’oeil. Le taureau est devenu fou il est parti en courant dans tous les sens et a fini par se coucher, son œil était parti, à la place il y avait un matmour. Ton grand-père a mis une raclée au berger et l’a renvoyé, il ne travailla plus pour nous… Et voilà….

L’ânesse était forte et grosse et un des boucs chargeait beaucoup alors on s’est dit qu’il ne fallait pas le laisser comme ça on l’a vendu avant qu’il nous fasse une misère avec ses charges. Il l’ont accroché avec l’ânesse pour les emmener au souk de Siliana. L’ânesse venait d’accoucher il y a une semaine. Et de temps à autres sur la route elle se vidait. Hassouna vendit le bouc au souk et rentra avec l’ânesse qui continuait de se vider et de pisser du sang en gémissant gémissant gémissant… Elle descendit à l’oued, son petit la suivait et nous aussi… Elle est arrivée à la source d’eau, elle a bu bu bu et est tombée morte, aussi.

Ton arrière grand-mère a alors dit «  Mais qu’est-ce qui vous reste ? », le bétail est mort sous vos yeux que vous reste-t-il ? Aller elle a dit emmenez les petits pour les scolariser plutôt qu’ils ne restent ici, ton grand-père a dit non ils restent ici c’est juste qu’il n’y aura plus de pâtures… Et voilà c’est comme ça qu’on a vendu ce qui nous restait et qu’avec ce que nous avions déjà, des céréales, du blé, de l’orge, du couscous, du mhomsa on a déménagé à Gaafour… Et c’est ça l’histoire… Hein reste-t-il quelque chose à raconter ?

-Tout ça en une année ? Tous ces animaux sont morts en une année ?

-Oui ils sont mort la même année, les deux vaches sont mortes à la fin de l’hiver, la mule est morte en été alors qu’on moissonnait, le taureau en été et l’anesse aussi en été… Tous ceux-là sont partis !

-A l’époque lesquels des oncles étaient déjà nés ?

-Tous étaient présents, tous ! Ahhhh… Non… Il y avait ton père, ton oncle Amor, le Hedi. Mohammed Tahar, quand on est arrivés à Gaafour il avait un an… Regarde quel âge il a maintenant ton oncle Mohamed tahar ahahahah… Saloha Mounir et Khaled je les ai eut à Gaafour.

-Et Tonton Moungi à Aïn Sfaya ?

-Oui Moungi aussi à Aïn Sfaya.

-Et à Gaafour vous vous êtes installés directement ici au quartier des tunisiens

-Oui au quartier des tunisiens

-Et les Français ils étaient encore là ?

-Non il n’y en avait pas, ils étaient partis, ils étaient partis depuis peut-être déjà deux trois ans que la France étaient sortie de Gaafour…

-Haaaa, vous n’avez pas vécu avec eux ?

-Non non on a pas vécu avec eux. L’année de la bataille de Bizerte où ils ont chassé la France, beaucoup de gens sont allés et y sont morts. Nous à ce moment là nous étions encore à Aïn Sfaya. Non non nous la France on ne l’a pas cotoyée.

-Donc vous êtes venus de Aïn Sfaya au quartier des Tunisiens…

-Oui au quartier des Tunisiens… On avait acheté une tente… Une bien… Meilleure que beaucoup d’autres tentes. Ils dressaient des poteaux et ça leur faisait comme une toute petite tente et ils vivaient dedans… Avant même que nous n’arrivions, quand la France était encore là, certains vivaient déjà ainsi. Mais nous en avons acheté une chez quelqu’un qui se faisait passer pour un constructeur, un bon, bien organisé.. Et on a vécu dedans, on est restés ainsi jusqu’à ce que Amor travaille… Oui c’est Amor qui a commencé dans cette histoire, il a eut le BAC il est parti étudier à Tunis, à l’université. Ils lui donnaient une bourse, la vie n’était pas chère comme aujourd’hui et chaque mois il nous envoyait un peu, 6 dinars, 7 dinars. Le sac de ciment coutait 500 millimmes, on en achetait deux et on prenait aussi une ou deux brouettes de sable dans l’oued a côté et on montait les murs petit à petit et on économisait. Puis ton père s’est mis à nous envoyer un peu… Et c’est tout.. On avançait comme ça doucement…

-Les mbeg nous mangeaient

-Comment ?

-Mbeg, le gros insect rouge qui mord, là où on dormait…

-Et puis quand on a emménagé dans la maison plus rien dieu merci

Et c’est tout

-Bien

-Bien

-Ca suffit pour aujourdhui