Des Bulles

Des bulles d’air remontent de l’abysse le long d’une ligne plombée.

Quelque chose est descendu tout au fond qui a fait remonté des bulles d’air comprimé, elles sont la trace de quelque chose qui est descendu et qui ne remontera peut-être jamais. Elles elles vont re-gouter la lumière du soleil, la chaleur de l’eau, rejoindre le vent. Toutes ces petites choses que ce quelque chose a laissé derrière lui en plongeant.

Remonter, refluer dans ce qui est connu, imaginé, visualisé. Que recèle chacune de ces billes d’air ? De quelles couches sédimentaires se sont-elles libérées ? Quelle partie de toi est-ce que chacune d’elle contient ?

La généalogie se reflète à la surface de la peau comme à la surface d’un miroir, un baobab, des racines comme des branches et des branches comme des racines, l’infini de ce qui a amené jusqu’ici se déploie au dehors comme au dedans. Le corps, une porte, un trou noir, le terrier du lapin blanc d’Alice, l’ivresse de l’azote, la douceur du liquide amniotique et la poigne d’Archimède. Un lieu de passage, un couloir dans lequel s’écoulent les souvenirs, les mémoires, le temps. Il est le lien entre passé, présent, futur.

Ces bulles contiennent ce qui m’a amené là, sur terre, dans cette famille, dans ce corps, dans ces émotions et préoccupations. Des corps, des fantômes, des réflexes, des battements de cœur et de paupières, des muscles qui tressautent, des tendons qu claquent et se tendent, des tibias qui dansent avant d’aller briser une mâchoire qui tombe, se relève et à son tour claque une samba fiévreuse.

C’est l’infra-corps, celui des souvenirs qui nous font, sans nous appartenir, une mémoire collective des corps issus d’une même cellule. La cellule ancêtre, la matriarche cellulaire, la méduse du mésozoïque, le reptile du reptile, celle qui nait de l’acidité des océans, le début qui a succédé à la dernière fin.

Quelque chose est mort à la fin, puis quelque chose a commencé. Elle a commencé par pourrir sûrement, sûrement au contact d’un souvenir qui passait par là et puis elle a commencé le début, elle a partagé, elle a multiplié, divisé, grandi et transmis ce souvenir souche.